La percée des GAFAM dans le secteur des paiements inquiète l'Autorité de la concurrence

Avec l’essor des paiements sur mobile et de la technologie NFC, les GAFAM émergent depuis une dizaine d’années sur le marché de la finance, et plus particulièrement dans le secteur des paiements. Saisie pour avis en janvier dernier pour évaluer la situation concurrentielle dans le secteur des nouvelles technologies appliquées aux activités financières, l’Autorité de la concurrence relève plusieurs points de vigilance avec l’arrivée de ces grandes plateformes numériques en France et en Europe.

Dans un avis rendu en fin de semaine dernière, l’Autorité de la concurrence observe que les « Big Tech », caractérisées par leur puissance financière et leur communauté d’utilisateurs, s’installent de plus en plus dans le secteur des paiements face aux acteurs bancaires traditionnels et à l’écosystème fintech, profitant notamment du succès des nouveaux modes de consommation et des effets de la crise sanitaire.

Avec l’essor de services comme Apple Pay, Google Pay et Amazon Pay, les grands acteurs du numérique disposent, selon l’Autorité, d’avantages « considérables » à faire valoir, puisqu’ils « contrôlent des écosystèmes s’appuyant sur de vastes communautés d’utilisateurs », ont accès à de « vastes ensembles de données » et ont, qui plus est, « la capacité technique de les mettre à profit ».

Un accès à de grands volumes de données

En France, les solutions de paiement disponibles proposées par les GAFAM sont Google Pay, Apple Pay (pour effectuer des achats en ligne et dans les applications, et réaliser des paiements sans contact depuis un smartphone), Facebook Pay et Amazon Pay. Google et Amazon proposent par ailleurs des services de traitement d’opérations de paiement pour les marchands tiers présents sur les places de marché.

S’appuyant sur leur puissance financière et la force de leur communauté d’utilisateurs, les Big Tech ont accès à d’importants volumes de données, pouvant leur permettre, par exemple, de mieux suivre la santé financière de leurs utilisateurs et d’adapter leurs offres en conséquence, selon les besoins et les préférences qu’ils ont identifiés au préalable.

En outre, parmi les éléments susceptibles de disrupter le marché bancaire, les grands acteurs du numérique ont recours à des coûts plus faibles que ceux des banques traditionnelles, faute d’être contraints par l’héritage de systèmes d’information anciens et lourds, bâtis sur des technologies parfois obsolètes. Ils profitent aussi d’une certaine notoriété qui favorise en quelque sorte « la fidélisation de certains utilisateurs ».

Face à ces avantages concurrentiels de taille, l’Autorité entrevoit une modification profonde du secteur où le modèle de la banque universelle, qui permet notamment d’assurer certains services jugés « non rentables » s’ils sont offerts isolément, comme le dépôt et l’encaissement des chèques et espèces, pourraient être « remis en cause ». Dans un scénario plus pessimiste, l’Autorité va même jusqu’à laisser entendre qu’il existe « un risque pour les acteurs bancaires traditionnels de se voir cantonnés à terme à des tâches d’exécution impliquant des coûts fixes importants (charges réglementaires, réseau physique, infrastructures de paiement), tout en étant marginalisés dans la chaîne de répartition de la valeur ».

Le risque de verrouillage des consommateurs dans un écosystème

Si l’un des objectifs principaux des Big Tech consiste à « renforcer leur écosystème », l’Autorité observe que d’autres motivations peuvent aussi justifier leur entrée dans le secteur des services financiers, à commencer par le désir de diversifier leurs sources de revenus ou encore accéder à de nouvelles sources de données sur les habitudes de consommation et la situation financière de leurs clients.

L’ACC note en outre que « l’ouverture ou la fermeture de l’accès effectif à l’antenne NFC des smartphones » constitue un autre facteur stratégique. La préinstallation dans certains téléphones de solutions de paiement sans contact mobile ou la mise en place de raccourcis vers une solution sont de nature à « présenter des risques pour la concurrence », notamment si elles conduisent au « verrouillage des consommateurs dans un écosystème donné », explique le rapport.

Les Big Tech insistent toutefois sur le fait qu’ils ne proposent « pas de services de paiement à proprement parler », mais se considèrent plutôt comme des « acteurs du secteur des paiements ». Apple se décrit notamment comme « fournisseur de technologie aux acteurs du secteur ». Les Big Tech se concentrent ainsi davantage sur la création d’une « interface de paiement » proposée aux usagers de leur écosystème, en s’appuyant sur des établissements bancaires pour réaliser le paiement lui-même, et son traitement en back-office.

Les groupes bancaires sont en quête de partenariats

Malgré la taille énorme de ces nouveaux entrants, l’Autorité observe qu’ils ne font bien souvent que s’inscrire dans des « infrastructures de paiement développées et contrôlées par les acteurs bancaires existants », et n’ont donc pas vraiment vocation à « en modifier fondamentalement le fonctionnement ». Selon l’ACC, cette stratégie permet aux Big Tech d’obtenir un « effet de levier considérable et des revenus potentiellement conséquents, sans pour autant assumer le poids juridique et financier associé à la réalisation de services de paiement ou d’opérations de compensation interbancaire ».

D’autant que les acteurs traditionnels peuvent aussi s’appuyer sur ces nouveaux services pour construire leurs propres offres. Il arrive que les banques proposent à leurs clients des services tels que Apple Pay, Google Pay ou encore Samsung Pay. A titre d’exemple, aux Etats-Unis, Apple, Goldman Sachs et MasterCard se sont associés en 2019 pour lancer une carte de crédit virtuelle ou physique intégrée à l’Apple Wallet. Plusieurs grandes banques, comme BNP Paribas ou Natixis, proposent aussi les services Alipay et WeChat Pay, afin de permettre aux commerçants français d’accepter les paiements mobiles de la clientèle chinoise. Toutefois, l’Autorité de la concurrence distingue bien le marché américain du marché français, insistant sur le fait qu’en France, « il n’existe pas encore à ce jour d’initiative de ce type entre les groupes bancaires et les Big Tech visant à lancer un nouveau service ou un nouveau mode de paiement ».

Dans son avis, l’Autorité de la concurrence positionne les nouveaux acteurs comme des « stimulateurs » de l’écosystème, notamment dans ce qu’elle appelle la « course à l’innovation ». L’ensemble des acteurs, dont les banques traditionnelles, veulent intégrer un maximum de fonctionnalités dans leurs offres respectives et investissent pour la recherche et le développement.

Si, historiquement, le paiement n’est pas une activité « rémunératrice, mais constituait plutôt un moyen nécessaire pour les banques de cultiver une clientèle pour un ensemble de services », selon l’Autorité de la concurrence, elle alerte sur le fait que la perte de la relation avec le client sur le seul segment du paiement pourrait laisser présager « des développements comparables sur d’autres activités, plus fondamentales encore pour le modèle bancaire, telles que le crédit ou l’assurance ».