C’est la commedia dell’arte version télécoms. Après de très longs mois de suspense, Telecom Italia (TIM) a fini par approuver, dimanche 5 novembre, la vente de son réseau fixe au fonds d’investissement américain KKR pour au moins 18,8 milliards d’euros. Ce montant pourrait, sous certaines conditions, grimper jusqu’à 22 milliards d’euros. Le conseil d’administration de l’opérateur italien a accepté l’offre, par 11 voix contre 3, en dépit de l’opposition de son principal actionnaire, Vivendi.
Détenant 23,75 % du capital de Telecom Italia, Vivendi s’est immédiatement fendu d’un communiqué regrettant « profondément » cette décision que le groupe français, spécialisé dans les médias et la communication, juge « entachée d’illégalité ». Il se réserve le droit d’utiliser « l’ensemble des moyens légaux à sa disposition » pour contester la cession et « protéger ses droits ainsi que ceux de tous les actionnaires ». Vivendi misait sur un deal à 31 milliards d’euros.
Une offre soutenue par le gouvernement Meloni
L’offre de KKR est soutenue par le gouvernement italien de Giorgia Meloni, qui a passé un décret cet été lui permettant de prendre jusqu’à 20 % de la nouvelle société au nom de la souveraineté nationale. En revanche, elle ne comprend pas la vente de la filiale de câble sous-marin Sparkle, valorisée à un milliard d’euros environ, et qui reste en négociation, le conseil d’administration ayant estimé la proposition de KKR insuffisante.
Si ce projet de cession se concrétise – il devrait être finalisé à l’été 2024 -, Telecom Italia deviendrait le premier grand opérateur télécom européen à se séparer de son réseau fixe sur son propre marché domestique. L’objectif de la manœuvre est d’alléger sa lourde dette, évaluée à 26,2 milliards d’euros.
Le gros des investissements est, par ailleurs, devant lui. Selon une étude de la Commission européenne, 44% des foyers en Italie étaient connectés à la fibre optique en 2022 contre 70 % pour la moyenne de l’Union européenne.
La concurrence sur la péninsule avec quatre opérateurs laisse, par ailleurs, des marges étroites. L’opérateur historique doit notamment faire face aux tarifs agressifs d’Iliad Italia, entré sur ce marché au printemps 2018. Le mouvement de consolidation ne s’est pas (encore) opéré. L’an dernier, la filiale italienne du groupe de Xavier Niel a tenté, en vain, de s’emparer de Vodafone Italia, la filiale du britannique ayant rejeté son offre de 11,2 milliards d’euros.
Vivendi, dindon de la farce ?
Dans ce vaste mécano, Vivendi va-t-il faire figure de dindon de la farce ? « En huit ans de construction patiente et après plus de 4 milliards d’investissement, le français n’est pas parvenu à imposer ses vues et à redresser la situation, perdu dans cette comédie romaine », estime Le Monde.
Le journal Les Echos rappelle, de son côté que l’Italie ne réussit décidément pas à Vivendi. En 2016, le groupe contrôlé par la famille Bolloré s’était rapproché du groupe de télévision italien Mediaset pour créer un « Netflix de sensibilité sud-européenne ». Il avait ensuite renoncé à un accord s’estimant trompé sur la valeur de l’actif. Une bataille juridique s’était alors engagée, un accord trouvé en 2021 mettant fin à cinq ans de procédures.
En sera-t-il de même sur le dossier TIM ? Quoi qu’il en soit, Les Echos estime que Vivendi, qui a investi au plus haut dans le capital de l’opérateur italien, en 2015, « a peu de chances de récupérer un jour sa mise ». A moins que la menace de procédures juridiques a pour but de conduire KKR à relever son offre.