
Le télétravail a un coût, et il ne s’agit pas seulement de payer les facteurs de chauffage ou de faire son propre café : des économistes ont maintenant démontré que les télétravailleurs consacrent également une partie plus importante de leurs revenus au loyer, pour se payer l’espace supplémentaire nécessaire pour rester productifs même lorsqu’ils ne sont pas au bureau.
Dans le même temps, les employeurs économisent de l’argent sur l’immobilier chaque fois qu’un de leurs employés ne vient plus sur le lieu de travail, ce qui a conduit les chercheurs à la conclusion que la charge de payer les bureaux passe des employeurs aux employés lorsqu’ils travaillent à distance.
Christopher Stanton et Pratyush Tiwari, tous deux chercheurs à Harvard Business School, effectuent une comparaison approfondie entre les ménages concernés par le télétravail (dont au moins un adulte travaille à domicile) et les ménages qui travaillaient en présentiel avant l’épidémie, afin d’estimer ce qu’ils appellent une « prime à l’éloignement » – les dépenses supplémentaires qui seraient encourues en payant plus d’espace de logement pour les travailleurs qui exerceront à distance à l’avenir.
Un supplément de 3,8 % des revenus jugé nécessaire
Pour l’ensemble des foyers, les économistes ont établi qu’un supplément de 3,8 % des revenus serait nécessaire pour couvrir les frais de logement liés au passage au télétravail. Pour les personnes à faibles revenus, l’estimation passe à 15 % de revenus supplémentaires. En revanche, les ménages les plus aisés n’auraient besoin d’aucune compensation supplémentaire pour couvrir ces nouvelles dépenses.
Etant donné le nombre de facteurs externes susceptibles d’influencer les résultats de l’analyse, l’objectif de la recherche relevait en quelque sorte d’un cauchemar mathématique, et les économistes ont dû se frayer un chemin à travers quelques pierres d’achoppement.
Dans un scénario scientifiquement idéal, les ménages comparés auraient dû être parfaitement identiques, sauf en ce qui concerne leur choix de télétravailler. En utilisant les données de l’Americain Community Survey entre 2013 et 2017, les deux chercheurs se sont donc penchés sur des foyers présentant des caractéristiques similaires : par exemple, ils auraient été originaires de la même zone de migration alternante ou avec des niveaux de revenus similaires et le même nombre d’enfants à charge.
Ils ont constaté que les ménages qui pratiquent le télétravail consacrent plus de 7 % en plus de leurs revenus au logement que les ménages qui n’en font pas, dans la même zone géographique. « Cela est dû, dans une large mesure, à la consommation d’un plus grand nombre de pièces par les ménages qui pratiquent le télétravail », expliquent les chercheurs à ZDNet. En effet, les maisons des télétravailleurs ont jusqu’à 7 % d’espace supplémentaire par rapport aux ménages où tous les résidents faisaient la navette vers le bureau avant la crise.
Forrester prévoit une hausse de 300 % des télétravailleurs permanents
Pour comprendre si l’espace supplémentaire est effectivement utilisé à des fins professionnelles, plutôt que simplement en raison du temps passé à la maison, les deux universitaires ont effectué une analyse similaire sur les ménages ayant un conjoint au foyer, et ont constaté que les ménages qui pratiquent le télétravail dépensent plus pour l’espace supplémentaire. « L’explication la plus plausible pour les grandes maisons est que l’espace supplémentaire est nécessaire pour satisfaire les besoins du télétravail », conclut l’étude.
Alors que certaines entreprises approchent d’une année entière de télétravail, de plus en plus de travailleurs voient l’intérêt de se connecter régulièrement depuis chez eux, même une fois la crise Covid passée. Le cabinet d’analyse CCS Insights prévoit qu’en 2022, plus de la moitié des employés de bureau travailleront encore principalement à domicile, tandis que les experts de Forrester s’attendent à une augmentation de 300 % du nombre de télétravailleurs permanents.
De nombreuses grandes entreprises ont déjà annoncé leur intention de faire du télétravail une option permanente. Microsoft part du principe que la plupart des activités se feront partiellement à distance, Facebook ouvre de manière agressive le recrutement à distance permanent, tandis que Twitter et Salesforce ont mis en place des plans pour permettre aux employés de travailler à domicile pour toujours.
Des économies réalisées sur les espaces de bureaux
Il est facile de sauter à la conclusion que la responsabilité devrait incomber à l’employeur. En fait, Christopher Stanton et Pratyush Tiwari ont évalué comment les entreprises pourraient être financièrement affectées par la nécessité de payer pour l’espace supplémentaire de leurs travailleurs. En partant de l’hypothèse que les travailleurs utilisent jusqu’à 13 mètres carrés sur le lieu de travail, les chercheurs ont calculé combien une entreprise pourrait économiser en immobilier, et comment le fait de payer une « prime d’éloignement » pour leurs travailleurs au même endroit pourrait réduire ces économies.
Ils ont constaté qu’en moyenne, le paiement de la prime compenserait d’un tiers les économies réalisées par les entreprises sur les espaces de bureaux.
Cela ne veut pas dire que les entreprises doivent absolument payer pour les locaux de leurs employés. « Nous ne prenons pas position sur la question de savoir si les entreprises doivent indemniser leurs employés pour le télétravail », indiquent les chercheurs. « Mais nous soupçonnons que dans un marché concurrentiel, elles finiront par le faire – c’est-à-dire que les employés pourraient s’approprier une partie de l’excédent généré par les économies réalisées sur les bureaux. Mais nous ne sommes pas sûrs de la quantité qu’ils vont capter, car nos données datent d’avant la pandémie. »
Les entreprises mettent en œuvre des politiques de télétravail
En plus de réduire le coût des bureaux, de nombreuses entreprises ont mis en œuvre des politiques de travail à distance après avoir réalisé que le télétravail pourrait accroître le bien-être et la productivité des travailleurs. Si c’est le cas, soutiennent Christopher Stanton et Pratyush Tiwari, la discussion est plus facile : il semble logique d’attendre des entreprises qu’elles contribuent à l’installation de leurs employés chez eux.
« Mais supposons qu’il y ait une perte de productivité », poursuivent les chercheurs. « Selon l’importance que l’employé accorde au télétravail, il pourrait être disposé à payer tout ou partie des dépenses supplémentaires liées au travail à domicile, et l’employeur pourrait être disposé à payer le reste des coûts en fonction de l’ampleur de la perte de productivité. »
L’année dernière a révélé de nombreux coûts cachés du télétravail, et dans de nombreux cas, on s’attendait à ce que les entreprises couvrent les dispositifs informatiques de base, ainsi que les équipements de santé et de sécurité. Mais l’indemnisation des travailleurs pour des loyers semble faire avancer le débat un cran au dessus.
L’idée n’est pas sans précédent : au début de l’année, un tribunal fédéral suisse a décidé que les entreprises devaient payer une partie du loyer de leurs employés, lorsque ceux-ci étaient obligés de travailler à domicile. Dans ce cas particulier, l’employé impliqué dans l’affaire a reçu un remboursement mensuel de 150 francs suisses (soit environ 136 euros).
Les circonstances varient selon chaque travailleur
Il peut cependant y avoir une perspective entièrement différente sur la question. Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, par exemple, a récemment suggéré lors d’une vidéoconférence que les employés qui déménagent dans des régions où le coût de la vie est moins élevé pourraient voir leur salaire réduit en conséquence. Un point de vue similaire a été adopté dans un rapport d’économistes de la Deutsche Bank, qui a présenté le télétravail comme un « privilège » pour lequel les employés devraient payer des impôts supplémentaires.
Comme l’explique Anna Stansbury, doctorante en économie à l’université de Harvard, les circonstances varient selon chaque travailleur, ce qui rend extrêmement difficile de tracer une ligne claire pour tout le monde. « Le travail à domicile exige des travailleurs qu’ils investissent dans la technologie, un espace de travail, et généralement un espace supplémentaire », indique-t-elle à ZDNet. « D’un autre côté, pour de nombreux travailleurs, le fait de permettre davantage de travail à domicile sera une aubaine. »
« Ils peuvent éviter le coût et les tracas des déplacements, peuvent être en mesure de s’éloigner des villes et donc de payer moins cher leur logement, et le télétravail peut offrir une plus grande flexibilité, ce qui est particulièrement précieux pour les parents qui travaillent et les autres personnes qui s’occupent d’enfants. Il n’est donc pas certain que le passage au télétravail sera un coût net pour tous les travailleurs, et il est probablement plus ou moins coûteux pour les différents travailleurs. »
Anna Stansbury prévoit de longues discussions entre les entreprises et leurs employés, afin de s’assurer que les politiques des entreprises sont alignées sur les meilleurs intérêts des deux parties. Avec peu de directives officielles en place, l’espace naissant du télétravail est rempli de zones grises. La résolution de ces questions devient cependant rapidement une priorité des RH.
Source : ZDNet.com
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