#JeTravailleChezMoi : les profs face à la fracture numérique


L’annonce, jeudi 12 mars, de la fermeture des écoles, collèges et lycées a certainement fait quelques heureux. Mais les cours ont été maintenus et les enseignants ont dû rapidement s’adapter à la nouvelle donne de l’enseignement à distance afin de continuer leur travail.
« Au quotidien et en période normale, les heures face aux élèves sont l’une de nos principales activités, que ce soit en cours, en aide aux devoirs ou pour les clubs. Ça représente une vingtaine d’heures effectuées exclusivement au collège. » explique Mika, professeure de SVT dans un collège de Moselle. À cela s’ajoute la préparation des cours, la correction des copies et les temps d’échange avec le reste de l’équipe pédagogique, soit une vingtaine d’heure supplementaires.

Pas tous égaux devant le numérique

Le passage à l’enseignement à distance représente donc un vrai défi pour les enseignants, surtout quand les soucis techniques s’en mêlent : « Les heures en direct face aux élèves représentent la partie la plus compliquée à transposer en télétravail. Entre ceux qui ne peuvent pas se connecter (souvent pour des raisons matérielles) ou qui ne le souhaitent pas, le manque de spontanéité dans la prise de parole et les problèmes techniques, les cours en visioconférence ou en audioconférence ne valent clairement pas ce qu’on fait en direct dans la classe. En revanche on peut donner des travaux qui s’appuient plus fortement sur des ressources numériques et laisser le temps aux élèves de les réaliser. C’est une autre façon de travailler, on change le rythme, on donne accès à d’autres outils… » explique Mika.

Nicolas, instituteur en école élémentaire en charge d’une classe de CP en banlieue parisienne tire un constat similaire : « C’est une opportunité de réfléchir sur sa propre pratique, d’innover, d’établir des nouveaux liens avec les familles, de redéfinir le partenariat parents/prof au profit des apprentissages de l’enfant. Mais la fracture numérique se ressent chez certaines familles. J’ai dû aller poster des documents dans certaines boîtes aux lettres. L’absence d’imprimante est un souci. Surtout lorsqu’il s’agit de limiter au maximum l’exposition aux écrans. »


Des outils pour garder le lien

Un nouveau cadre auquel l’éducation nationale s’est fait tant bien que mal : « Les directives concernant l’enseignement à distance évoluent en fonction du temps et des retours, on ne peut pas dire que les choses aient été bien anticipées au départ mais il y a une bonne réactivité » explique ainsi Mika.

L’éducation nationale en France propose déjà des outils prévus pour le travail en dématérialisé : on peut ainsi citer les Espaces Numérique de Travail (ENT) déployés par les universités, lycées et collèges, qui permettent déjà en temps normal de transmettre aux élèves une partie des contenus pédagogiques et des devoirs. Mais si ces outils se révèlent fonctionnels, ils souffrent également de défauts : outre les problèmes de connexion rencontrés, certains ENT ne demandent pas aux élèves de s’identifier pour rejoindre les cours en vision conférence, ce qui peut générer des perturbations lors des cours en ligne. Zoom n’est donc pas la seule application à faire face à ce problème.

Les enseignants sont allés chercher d’autres outils pour compléter les cours en ligne : « Outre l’ENT, j’utilise un tableau d’affichage partagé (middlespot) pour que les élèves n’ayant pas accès à l’ENT puissent quand même faire le travail. Les élèves ont la possibilité de m’envoyer individuellement leur copie de l’activité à réaliser. Pour cela j’utilise le site quizinière, qui est un outil mis en place par le réseau Canopé. Et afin de garder le contact individuel et de faire des sessions collectives en audio, j’ai créé un Discord » explique Mika.

En l’absence d’ENT pour les écoles primaires, Nicolas privilégie de son coté « les outils les plus répandus et démocratiques, à savoir les échanges par mail, WhatsApp et surtout les appels téléphoniques. » La difficulté reste néanmoins de trouver les « bons » outils : Nicolas estime ainsi que « la profusion de ressources pédagogique, très inégales, suggérées par l’Éducation Nationale ou par l’entourage, réseaux sociaux, peut être envahissante. » Les directives se veulent néanmoins assez souples, l’essentiel étant de « garder le lien » avec les élèves et dans l’ensemble, les problèmes de saturation rencontrés dans les premiers temps par les plateformes et outils officiels ont fini par se résoudre.

Vivement la fin?

Pour le travail au contact des élèves, les enseignants parviennent donc à se débrouiller tant bien que mal. Mais le manque de contact avec l’équipe enseignante et avec les élèves est un point fréquemment cité. Pas sur donc que cette expérience viendra réellement changer les habitudes « La technologie présente certains atouts, mais au sein de l’école même, je suis hermétique au virtuel qui remplace le physique dans les échanges verbaux, l’écriture, la manipulation, les liens sociaux… Les écrans sont omniprésents, l’école doit s’en prémunir au maximum » assure Nicolas.

En attendant un retour à la normale, les enseignants prennent donc leur mal en patience : «  Le contact avec mes élèves et avec mes collègues me manque, mais je sais que ce problème ne sera réglé qu’à la fin du confinement » résume Mika.